Une question d'honneur
Vous avez tous déjà entendu un journaliste envoyé couvrir l'enterrement de quelqu'un (de connu a priori) faire son compte rendu dans le journal. Une fois le décor planté, le nombre de personnes présentes estimés vient le moment de la description du comportement des proches de la personne décédée. Et c'est là que ça se gatte. La phrase de base est la suivante: "oui, une famille très digne qui a assisté aux funérailles dans le calme en respectant la mémoire du défunt". On comprend bien que par digne le reporter entend "sans cris, sans trop de larmes et en gardant un air sérieux et distant", bref une attitude semblable à celle de 3/4 des gens le matin dans les transports en commun. En soi, je n'ai rien à reprocher à ceux qui réagissent ainsi. Mais le problème est qu'en soulignant cette prétendue dignité le journaliste sous-entend qu'adopter une posture inverse ou tout simplement différente, plus bruyante, plus expansive et avec moins de retenue serait finalement indigne. Or lorsque je regarde la définition du mot indigne dans Le Petit Robert j'y lis "tout à fait inconvenant, condamnable". Franchement, et je suis pourtant quelqu'un qui place la maîtrise de soi très haut dans la hiérarchie des qualités humaines, s'il y a bien un moment où tout le monde devrait avoir le droit de craquer nerveusement sans être jugé c'est bien lors du décès d'un être aimé. Qu'on pleure, qu'on hurle, qu'on laisse exploser sa tristesse si les sentiments du moment sont vraiment forts! Quelle est la légitimité d'un journaliste, où de qui que ce soit d'autre d'ailleurs, pour émettre un quelconque jugement de valeur sur la manière dont une personne ressent et vit un drame tel que la mort d'un proche? Au nom de quoi il serait "inconvenant" de perdre son sang froid en de telles circonstances? Certainement des relents d'une morale chrétienne qui a toujours réprouvé et cherché à entraver les pulsions et réactions naturelles de l'homme. Do it how you feel it.